Tezio Corteze
Инженер мечты
Des Articles
Mon premier véritable article dans Espace Magazine, pris comme sujet un rapide calcul mental qui me fit prendre conscience qu’avec la sixième roue du rover Oportunity, le nombre total de roues expédiées sur d’autres corps célestes (Lune et Mars) allait atteindre le nombre de 50. Cinquantième roue fabriquée par l’Homme à laisser des traces sur un autre sol que celui de la Terre.
8+1 pour Lunokhod 1 (1970), 2 avec la brouette d’Apollo 14 (1971), 4 de la jeep d’Apollo 15 (1971), 4 pour celle d’Apollo 16 (1972), 4 pour celle d’Apollo 17 (1972), 8+1 pour le dernier Lunokhod 2 (1973), 6 pour le petit Sojourner sur Mars (1997), 6 pour Spirit (2004) et 6 pour Opportunity (2004). Total 50 ! L’article fut un prétexte pour aller au-delà de cette énumération et de montrer les différentes formes de roues. Je pu évoquer les 2 patins de Mars 3 (qui fut découvert plus tard sur les images de MRO) et fis un clin d’œil au projet de moto lunaire qui fut un temps imaginé et testé en vol paraboliques par la NASA. Qu’aurait bien pu faire de cette moto, des Shepard ou des Conrad ? là où certains ont provoqués des tête à queue par excès de vitesse sur la Lune. Mais ceci n’étant pas l’histoire officielle, je ne me permis pas de tout raconter.
Juste en souvenir, j’inclus la moto avec Shepard dans le panoramique global.
Là aussi, une actualisation serait nécessaire depuis que Curiosity a posé ses 6 roues sur Mars et que les chinois ont posé Yutu su la Lune (+6). Nous en sommes à 62…il faudra peut-être attendre 100 pour en reparler.
Premier article – La 50ème roue
Espace et Magazine n°6 – Mai/Juin 2004
La sixième roue du rover Oportunity est aussi la cinquantième fabriquée par l’Homme à laisser des traces sur un autre sol que celui de la Terre !
Revivez la saga des roues spatiales, dont la jeep lunaire est probablement l’épisode le plus connu.
Dès 1960, le problème de la locomotion lunaire avait quitté le domaine de la science-fiction pour rejoindre celui de la planche à dessin des ingénieurs. Le principal problème venait du manque d’informations sur l’environnement lunaire où devaient évoluer les véhicules. Certes, les grandes lignes étaient connues, mais il fallut attendre 1966, avec les premiers alunissages des sondes automatiques, pour acquérir la certitude que sous la couche superficielle de poussière lunaire, le sol était meuble et pouvait supporter de fortes charges.
Du rêve à la réalité
Après avoir étudié un peu toutes les pistes, deux grands axes de travail furent choisis par le Marshall Space Flight Center de la NASA – dirigé à l’époque par le Dr. Werner von Braun – et par certains industriels qui poursuivaient leurs propres recherches.
Les ambitions ne manquaient pas, à l’image du Molab, un laboratoire sur grosses roues, véritable Mobil Home lunaire, que les astronautes auraient rejoint pour y séjourner une à deux semaines.
Seconde idée plus réaliste : un véhicule capable de transporter les explorateurs, leurs équipements spatiaux, les expériences et des échantillons.
Pour des problèmes de masse, c’est bien entendu cette dernière idée qui allait s’imposer et devenir la jeep lunaire.
La NASA se focalisait donc sur un véhicule destiné à éviter la fatigue des astronautes en transportant le matériel, tout en augmentant le rayon d’action. Celui-ci devait pouvoir être déployé simplement par un seul astronaute, transporter 2 hommes ainsi que leur matériel dans les conditions thermiques de la surface lunaire (-100° à +150°c). Toutefois, la technologie n’était pas encore au rendez-vous et les premiers projets de rovers étaient soit trop lourds, soit trop grands où incapables de transporter 2 hommes. Il restait encore beaucoup de travail à accomplir.
Tour de roues soviétiques
Coté soviétique, les recherches sur les robots lunaires débutèrent dès 1949.
Puis, face aux difficultés de son programme lunaire habité (voir ESPACE Magazine n°4), l’URSS mit tout en œuvre pour tenter de ramener sur Terre les premiers échantillons de roches lunaires, avec des sondes automatiques. L’effort échoua très près du but. En effet, Luna 15 s’écrasa sur la Lune, dans la Mer des Crises, au moment même où Armstrong fermait la porte du LM.
14 mois plus tard, Luna 16 parvint à remplir cette mission et ramena sur Terre 101 grammes d’échantillons prélevés sur notre satellite naturel.
Pour aller plus loin, le constructeur de ces sondes, le bureau OKB-301 de Lavotchkine, conçut un véhicule aussi baroque qu’efficace, le Lunakhod.
A la surprise générale, le 17 novembre 1970, la sonde Luna 17 déposa dans la Mer des Pluies le premier véhicule qui effectua des tours de roues sur le sol d’un autre astre que la Terre. Après avoir descendu l’une des rampes qui équipaient l’étage d’atterrissage, Lunakhod 1, d’une masse de 750 kg, commença sa mission. Télécommandé avec un très léger effet retard depuis la Terre (la lumière ou les ondes radio mettent environ 1 seconde pour parcourir la distance Terre-Lune), le robot évolua à la vitesse de 100 et parfois 200m à l’heure, laissant derrière lui les traces profondes de ses 8 roues métalliques à rayons d’un diamètre de 51 cm et d’une largeur de 20 cm.
Équipée chacune d’un moteur électrique, aucune roue n’était directrice. En revanche, un frein à disque pour les arrêts en pente était prévu. Pour tourner lors d’un déplacement, il suffisait d’imprimer des vitesses différentes aux 4 roues situées de chaque coté du véhicule. En inversant le sens de rotations des roues de chaque train, Lunakhod pouvait même tourner sur place. Inconvénient de cette manœuvre : le «labourage» du sol sous le véhicule. Cet effet fut mis à profit pour effectuer des analyses de la sous-couche du sol lunaire.
Une autre trace plus fine était également visible derrière la «Marmite» (surnom donné à cette étrange machine), celle de la 9ème roue, chargée de comptabiliser la distance parcourue et d’évaluer les variations de la hauteur du sol.
En 11 mois de mission, Lunakhod 1 arpenta 10 km, ce qui permit d’étudier 80.000 m2 de surface sélène. Il effectua aussi un relevé topographique sur une bande de 8 km de long en analysant la composition chimique du sol en 25 endroits différents.
Total : 9 roues.
Premières traces américaines
Quelques mois plus tard, le 31 janvier 1971, Apollo 14 s’élance avec Alan Shepard comme commandant de bord.
Destination : la région montagneuse de Fra Mauro, celle-là même qu’Apollo 13 n’atteignit jamais. Afin d’aider les astronautes à porter le matériel prévu lors de l’ascension des pentes douces du cratère Cone situé dans cette région, la NASA eut la bonne idée de leur confier, replié avec les outils, une sorte de chariot baptisé Modularized Equipment Transporter (MET).
Malheureusement, le MET se révéla être une fausse bonne idée. Les malheurs d’Alan Shepard tentant de contrôler cette brouette bondissante au sein des roches sont restés mémorables ! Après tous les problèmes de développement, et malgré toutes les précautions prises par les ingénieurs de Goodyear, le peu d’air contenu dans les 2 roues gonflables du MET occupa tout l’espace disponible des pneumatiques une fois ceux-ci exposés au vide spatial.
Cette surpression rendait presque incontrôlable ce caddie de luxe dès qu’il rencontrait des roches. C’est à dire partout. L’équipage tenta de s’adapter à ces conditions en expérimentant le déplacement par bons en tenant chacun le MET.
De retour de mission, Ed Mitchell, compagnon d’Alan Shepard sur la Lune, commenta ainsi la performance du MET. «C’était un animal plutôt instable à 1/6ème de g. Bien plus que nous l’avions pensé (…). À chaque fois que nous heurtions une pierre, il partait en l’air, et si une roue touchait il se mettait à bouger et rebondir. Je suis heureux que nous l’ayons eu, ce qui a permis de transporter tout l’équipement, mais nous aurions pu faire mieux».
Total : 11 roues.
Le LRV ou jeep lunaire
Pour la mission suivante, Apollo 15, son cahier des charges définitivement affiné, la NASA donna généreusement 17 mois à Boeing et General Electric (pour les organes mobiles) en vue de passer du projet à la livraison du premier prototype de jeep lunaire.
38,5 millions de dollars plus tard, mais dans le respect des délais, les 8 prototypes et les 4 modèles de vols du Lunar Rover Vehicule (LRV) furent livrés à l’agence américaine.
Après avoir marché sur la Lune, l’Homme allait enfin pouvoir y rouler. Non pour le plaisir, mais bien pour augmenter la surface d’exploration. Grâce à la jeep, les 3 dernières missions Apollo, dont le séjour sur la Lune venaient d’être porté à 3 jours, allaient pouvoir réaliser un travail qui aurait demandé 5 à 7 expéditions.
En juillet 1971, face aux monts Apennins et tout à coté de la faille Hadley, la première jeep lunaire imprima ses premières traces entre les mains de Dave Scott.
Déplié depuis la baie située à droite de l’échelle dans la base du LM, le rover accusait une masse de 209,5 kg. Avec tous ses équipements, instruments et outils, les deux astronautes ainsi que les échantillons collectés lors des 6 heures d’EVA, son poids total en charge dépassait les 725 kg ; soit seulement 120 kg sur la Lune. On comprend mieux pourquoi on vit parfois les astronautes capables de soulever le véhicule pour le dégager de roches gênantes.
Les dimensions de la jeep font penser à une voiture moyenne : 3,10m de long pour 1,83m de large. Les 4 roues surprennent par leur taille : 81 cm. Chacune est équipée d’un moteur électrique. Les «pneus» sont en fils métalliques tressés et rivetés à un moyeu central en aluminium. Des chevrons en titane sont rivetés sur la bande de roulement. Une structure intérieure également en acier fait office d’amortisseur. Le train arrière s’oriente à l’inverse du train avant, ce qui permet aux astronautes de louvoyer entre les roches lunaires car là où les roues avant passent, passeront les roues arrières. De fait, le rayon de braquage est réduit à seulement 3m.
Chaque roue était garantie pour plus de 75.000 tours, soit 180 km. Mais les astronautes n’iront pas aussi loin. Pour des raisons de sécurité, il fut décidé de ne pas s’éloigner de plus de 10 km du LM afin d’avoir le temps de revenir à pied en cas d’incident technique. Les astronautes n’hésiteront pas à pousser le véhicule aux limites admissibles.
Outre la vitesse maxi de 18 km/h atteinte lors de la dernière mission, on vit le rover rouler le long des flancs de monts lunaires inclinés à 45°, descendre des pentes de plus de 27° à pleine charge et faire des envolés au grand plaisir des passagers qui le baptisèrent «le chameau» à cette occasion. Les «garde poussières» se révélèrent efficaces. Après en avoir perdu la partie arrière de l’un d’eux lors de la dernière mission lunaire on comprit mieux leur utilité car le treillis métallique des roues arrachait littéralement la poussière lunaire en de grandes gerbes de «charbon».
Les 3 jeeps furent laissées sur la Lune, à bonne distance des LM pour filmer les décollages des modules de remontée. Abandonnées à la solitude lunaire, elles vous attendent. Il n’y a qu’à pousser la poignée au centre du tableau de bord. Ah oui, n’oubliez pas les batteries neuves !
Total : 23 roues.
Dernières traces lunaires
Trois ans ½ après leurs premiers pas, les américains abandonnèrent définitivement la Lune. Le 16 janvier 1973, les soviétiques, après avoir entre temps récolté à nouveau des échantillons, déposèrent en bordure de la mer de la Sérénité, dans le cratère Le Monnier, un nouveau Lunakhod doté d’améliorations techniques.
Pendant 4 jours lunaires, soit 4 mois et demi jusqu’en mai 1973, Lunakhod 2 fonctionna sans interruption, accumula un bilan scientifique exemplaire et finit par parcourir plus de 37 km, parfois dans des pentes qui atteignaient plus de 18°. Des records qui restent encore à battre...
Un troisième Lunakhod fut construit et ne prit jamais la route de la Lune. Il est encore visible à Moscou, dans le Musée de son constructeur : Lavotchkin.
Si vous avez la chance de passer par là, demandez à ce qu’on veuille bien vous mettre en marche les huit moteurs des roues. Heureusement qu’il n’y a pas de son sur la Lune, car l’animal est bruyant !
Total : 32 roues.
Roues rouges
L’été 1997 voit la consécration du nouveau slogan de la NASA, «faster, better, cheaper» (plus vite, mieux et moins cher). Formidablement médiatisée par un Internet de plus en plus présent, gérée comme une opération marketing sensationnelle (atterrissage de la sonde le jour de la fête de l'indépendance des États-unis), la mission Pathfinder était avant tout une mission technologique, et les objectifs scientifiques étaient secondaires.
Il s’agissait entre autre de tester et valider de nouvelles technologies dans l’environnement inhospitalier de Mars, comme l’atterrissage aux airbags et le système d’imagerie 3D permettant de planifier les déplacements du robot. Car Mars c’est loin. Sur la Lune, le décalage entre la perception d’un danger par l’image et la réception de l’ordre d’arrêt du véhicule téléguidé n’excédait guère plus de 3 secondes. Pour la Planète rouge, tout pilotage en temps réel est impossible (le décalage se compte en minutes).
Tout déplacement doit être planifié sur la base des données acquises sur place. Toutefois, le petit Sojourner de Pathfinder était aussi doté d’une capacité de «décision» afin de contourner les obstacles sur sa route.
27 ans après la Lune, l’Homme réussissait donc enfin à faire rouler sa technologie sur la planète Mars.
Sojourner pesait 4 kg sur place soit moins de 11kg sur la Terre. Il mesurait 28 cm de haut, 48 cm de large et 63 cm de long. Ses 6 roues motrices métalliques étaient équipées de petits picots pour assurer l’adhérence (près de 1.200 en tout). Seules les roues avant et arrière étaient directrices.
Compte tenu des contraintes évoquées précédemment, Sojourner se déplaçait lentement : 1 centimètre par seconde, avec un temps d'arrêt chaque fois que ses roues avaient tourné d'un quart de tour. Sa vitesse maximale plafonnait à 24 m/h. Sojourner pulvérisa de douze fois sa durée de vie théorique estimée à 7 jours. En effectuant 230 manœuvres, le petit robot cumula 100 mètres de roulage en réalisant plus de 16 analyses chimiques de roches et du sol. La méthode des Lunakhod pour raboter la surface et révéler le terrain sous jacent fut améliorée en bloquant cinq roues et en laissant tourner l'autre librement.
Sojourner restera pour l’histoire le premier véhicule martien. Et pourtant…
Le 2 décembre 1971, l’atterrisseur de la sonde soviétique Mars 3 se posait en pleine tempête sur le sol de la planète mais, au bout de 20 secondes, l’arrêt des transmissions fut définitif. La sonde avait-elle survécue un instant ? Le programme automatique s’était-il enclenché ? On se prend alors à rêver… Car nous savons maintenant que la capsule emportait un mini-rover relié à la sonde et qui devait se mouvoir à l’aide de deux patins latéraux. Le sourire qu’arbore son concepteur Oleg Ivanovsky – également papa de Spoutnik 1 – en dit long sur le tour qu’il nous a peut-être joué.
Total : 38 roues et… peut-être 2 patins !
Les 2 Mars Exploration Rover, Spirit et Oportunity, reprennent en plus grand le système de suspension et de locomotion de Sojourner (ils sont 17 fois plus gros que ce dernier). Les trains avant et arrière sont orientables et autorisent une rotation sur place de 360°. Les 6 roues sont équipées d’un moteur électrique et leur diamètre passe à 26 cm. Leur réalisation relève de l’exploit technologique. En effet, afin d’absorber une partie des chocs lors des déplacements, la structure porteuse des roues est en forme de spirale et a été fabriquée à partir d’une unique pièce cylindrique en aluminium ! Les surfaces extérieures du métal ont été anodisées. Les espaces vides entre les spirales ont été obstrués pour éviter le passage de la poussière abrasive du sol avec une mousse appelée Solimide. Cette dernière a la propriété de conserver sa souplesse malgré les fortes variations de températures sur la Planète rouge. La bande de roulement est en enduit noir. Sa souplesse est destinée à améliorer l’adhérence et surtout éviter au véhicule de se prendre les roues dans les airbags dégonflés.
La vitesse maximale sur terrain plat est théoriquement de 5 cm par seconde. En pratique, le mode opératoire est généralement plus prudent : après 10 secondes, un Mars Exploration Rover s’arrête et observe son environnement pendant 20 secondes, puis repart à nouveau pour 10 secondes. Au final, une vitesse moyenne d’1 cm par seconde doit être atteinte, sans compter les arrêts pour les analyses scientifiques. Enfin, chaque véhicule est conçu pour pouvoir supporter des déclivités de 45°. Une faculté limitée à 30° par le logiciel de bord.
Total : 50 roues
N’oublions pas les «roues de cartons»
Outre ces 50 roues spatiales auréolées de gloire, d’autres mériteraient la célébrité, même si elles n’ont jamais quitté la Terre.
On pense tout de suite au tristement célèbre Marskhod soviétique, qui aurait du maintes fois aller promener ses 6 roues coniques sur les sols oxydés de Mars. Malheureusement, le contexte politique et économique de la fin des années 80 ne lui a pas été favorable.
Il quitta bien la Russie, mais pour explorer les déserts américains dans le cadre d’accords internationaux.
On peut également citer le projet de la firme Martin Marietta destiné à équiper de chenillettes un Viking 3 qui ne vit jamais le jour.
Un bref clin d’œil pour les Chinois, qui affirment leurs ambitions lunaires où ils semblent vouloir aller s’y promener en jeep biplace (voir ESPACE Magazine n°1).
Enfin, il est impossible d’oublier que les ingénieurs de la NASA avaient sérieusement envisagé d’équiper les astronautes d’une … moto lunaire ! Et ce, bien avant que la Mars Society ne simule des randonnées martiennes en Quad. Plusieurs modèles furent testés dans les conditions de gravité lunaire à bord des KC-135 (vols paraboliques).
On se prend à rêver à ce qu’en aurait fait un Alan Shepard ou un John Young s’ils avaient pu disposer d’un tel engin pour «tracer» sur la Lune…
Serge Gracieux - Mai 2004