top of page

Des Articles

 

 

 

 

Je ne me souviens pas exactement quand j’ai entendu pour la première fois cette rumeur sur un cosmonaute qui s’était retrouvé dans une telle situation en péril. En gros, se retrouver, ne serait-ce que quelques secondes sans aucune attache à son vaisseau ou sa station et surtout sans aucun moyen propulsif individuel. Dans l’une de mes rencontres avec Sacha Sérebrov, je ne sais si l’ambiance du moment y fit quelque chose, mais il me confiât cette anecdote qu'il avait vécu, mais sans pouvoir la diffuser. A la troisième rencontre, je réussi à le convaincre – vu le délai – de partager avec tous son aventure. (Plus de précisions en bas de page). 

 

 

Alexandre Serebrov - l'homme libre

Espace et Magazine n°15 – Sept/Oct 2005

 

 

 

 

Interview de A. SEREBROV – Serge GRACIEUX pour Espace Magazine

Remerciements : Merci à Elena Oryekhova pour la traduction de l’entretien et à la Cité de l’espace.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour faire suite au sujet ON S’ATTACHE du dernier numéro d’EM, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Alexandre Serebrov à la Cité de l’espace de Toulouse lors de son bref séjour en France du 14 au 20 mai. L’occasion pour nous d’évoquer quelques moments forts de ses vols, notamment les essais du « fauteuil volant » IKARUS.

 

EM : Alexandre SEREBROV, vous avez intégré le groupe des Cosmonautes comme Ingénieur de la firme ENERGIA en 1978 pour le quitter en 1995 après 16 années d’activité.

Pendant cette période, vous avez effectué 4 vols spatiaux et passé plus d’une année dans l’espace et surtout, lors de vos 2 deniers vols, effectuer 10 sorties dans l’espace.

En 1990, vous avez eu l’honneur d’être le premier à tester le fauteuil autonome IKARUS.

Pouvez-vous nous commenter cet essai et les éventuelles difficultés que vous avez rencontrées ?

 

''Il n’y a qu’une seule difficulté. Nous ne pouvions utiliser le satellite de communication Altaïr parce que nous avions des problèmes avec ses gyrodines (assurant le contrôle d’attitude du satellite) et le centre de calcul est tombé en panne. Malgré cela, la sortie n’a pas été annulée mais le test a été réduit à la durée de survol de l’Union soviétique. Les liaisons étaient de ce fait réduites de 3 minutes à 2 minutes 15s. Le reste du temps, je suis resté amarré à la plate forme, le dos tourné au soleil. Comme il s’agissait d’un vol d’essai, je ne pouvais pas débrancher le système de régulation thermique et pour unique protection, je n’avais que le sac à dos de l’Orlan. Le système de refroidissement était réduit au minimum. J’ai eu très très froid. Comme la durée des communications était réduite presque par 2, j’ai du tester le fauteuil pendant deux orbites. Même le soleil n’arrivait pas à me réchauffer. J’ai fini par placer mes bras en croix, les mains derrière moi retournées vers le soleil pour tenter de les réchauffer. L’expérimentation terminée, comme nous étions des cosmonautes expérimentés, le centre de contrôle nous avait autorisés à ne pas débrancher le système de régénération d’eau à bord (qui normalement est arrêté lors des sorties) et la première chose que j’ai faite une fois rentré dans la station a été de boire ½ litre de thé chaud. Ca a été mon impression la plus marquante : quand enfin j’ai pu avoir chaud !''

 

EM : Votre collègue Alexandre VIKTORENKO a-t-il rencontré le même problème ?

 

''Lors de sa sortie, d’une part le satellite relais fonctionnait correctement et il lui a été possible de faire un tonneau sur lui-même, se tourner pour effectuer son travail pendant deux orbites. Il a eu également envie de débrancher le système de régulation thermique, mais moi, en tant qu’ingénieur de bord, je lui ai interdit – peut-être l’a-t-il fait ?''

 

 

EM : Mis à part ce second essai 4 jours plus tard aux commandes de votre collègue, pouvez-vous nous expliquer pourquoi IKARUS n’a pas été utilisé à nouveau ?

 

''Le facteur humain !

C’est parce que Youri Semenov, le constructeur d’Energia n’a pas commandé pour le vol, les blocs batteries supplémentaires. En règle générale, les constructeurs Généraux ne s’entendent pas du tout. Ikarus a été construit par l’académicien SEVERIN, c’était le constructeur Général de Zvezda à qui l’on doit le système ravitaillement en vol, les scaphandres et les célèbres sièges éjectables.

Visiblement, Semenov voulait que tous les succès dans l’espace, lui reviennent. Il était certainement jaloux de Severin.

C’est dommage, car pendant ce même programme, nous avions comme mission d’examiner tous les modules, la station dans sa totalité, pour déclarer qu’il était possible d’effectuer un amarrage avec la navette. Cela aurait été plus efficace d’utiliser Ikarus. Nous aurions pu pendant une orbite, survoler un coté de la station et l’autre lors de la seconde orbite. Mais nous n’avons pas pu le faire, bien que du coté Severin tout était prêt. J’avais même passé mon examen pour effectuer ce vol. La technique et les gens étaient prêts, mais il manquait les batteries. Semenov a pris la décision de ne pas le faire.''

 

 

EM : Parmi vos 10 sorties, quels moments forts conservez-vous de ces 32 heures passées hors de la station MIR ?

 

''Je crois que ces chiffres caractérisent l’efficacité de notre travail !

L’impression la plus forte lorsque l’on effectue une sortie dans l’espace est de voir la Terre en 3 dimensions. Ca n’a rien à voir avec ce que l’on voit depuis l’intérieur de la station, on se rend vraiment compte des trois dimensions et de sa taille. C’est ma plus forte impression. La seconde, c’est quand l’appareil photo s’est détaché. Une fois dans sa sacoche accrochée par un mousqueton français, j’ai utilisé l’appareil photo qui s’est détaché de son mousqueton russe mal conçu. Tu le vois à 3 mètres de toi, plein de photos et tu ne parviens pas à le rattraper. C’était un Hasselblad et j’ai du payer une amende pour cela.''

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

EM : Il y a quelques années, vous nous aviez confié une anecdote concernant vos attaches de sécurité qui se seraient détachées, faisant de vous le premier HOMME LIBRE de l’espace. Pouvez-vous raconter à nos lecteurs cette anecdote ?

 

''C’était le 16 septembre 1993, pour moi c’était la 6ème sortie et pour Vassili TSIBLIEV c’était la première (MIR équipage 14). Nous avions avec nous la structure RAPANA. Il y a deux sangles reliées au scaphandre, la première doit être fixée à un premier point d’ancrage d’un coté puis la seconde de l’autre délimitant ainsi notre espace de travail.  Je me suis accroché à une poignée, comme il était indiqué dans l’instruction, mais cette poignée était tellement mal faite – le boulon en acier avait été vissé directement dans la poignée en aluminium, sans la rondelle de jonction, sans aucune résine ni peinture - que cette poignée n’était pratiquement par rattachée à la station, ce que je n’ai pu voir sur le coup. Je suis parti pour mon second point de fixation en direction de la structure Sophora et pendant mon lent déplacement, j’ai vu mon premier mousqueton qui passait à coté de moi ! Je me suis rendu compte que je n’étais plus rattaché à la station. Heureusement que le mousqueton ne s’est pas enroulé quelque part. J’ai poursuivi « mon vol » avec précaution pour ne pas sortir de ma trajectoire et j’ai pu ainsi parvenir à m’accrocher à la structure Sophora.

J’ai fait comme si de rien n’était. Quelques secondes plus tard, j’ai entendu TSIBLIEV me signaler cette poignée défectueuse. Je lui ai répondu qu’elle ne lui servirait plus à rien. C’est seulement à bord de la station, en effectuant notre rapport sur Terre et après avoir traité de … ceux qui avaient installé cette poignée, que nous avons signalé de l’exclure des procédures de sorties. J’ai bien tenté lors de la sortie suivante de revisser la poignée, mais les tournevis ne convenaient pas.

Je n’ai pas paniqué ni eu peur. Ca ne sert à rien. Je sais également que si je me détachais et que je partais dans l’espace, je n’allais pas rester des heures à attendre la mort. J’ouvrirais juste le gant et voilà ! Plutôt, j’ouvrirais le « sac à dos » parce qu’il y a une sécurité qui prend le relais si le gant est ouvert, il y a un joint qui sert le poignet. Comme cela, vous perdez la main mais le reste est sauf !''

 

EM : Il Selon-vous, cet incident est-il arrivé à d’autres de vos collègues cosmonautes ?

 

''Niet !''

 

EM : Merci Sacha.

 

 

 

Le dernier numéro d’espace magazine en main,

Alexandre dédicace une photo pour les lecteurs.

 

L’Homme libre existe ! nous l’avons rencontré !

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Homme libre

Ma première rencontre avec Serebrov fut rapide. C’était à Arcachon en post tour avec Michel Tognini en tant qu’équipage de doublure du vol de Jean-Loup (Aragatz 1988). A cette occasion il pu découvrir les prémices de mon travail sur une sorte de répertoire spatial (on en reparlera. Mais les mondanités arcachonnaises accaparaient nos cosmonautes et la conversation fur remise à plus tard.

 

Plus tard ce fut 1998 ! Lors de ma seconde visite en Russie avec mes 10 compagnons que j’étais sensé encadrer, était organisé un barbecue dans l’enceinte de la Cité des étoiles, dans le petite forêt de bouleau, pas très loin des habitations américaines à peine terminées. Ce fut Sacha Serebrov qui s’y colla pour notre grand plaisir. L’alcool aidant, Sacha nous raconta une histoire que nous eûmes du mal à croire, même si celle-ci ‘’devait rester entre nous’’ !

 

Je tins parole, mais en 2001, Sacha repassa par Toulouse et ‘’à froid’’, je lui reparlais de cette histoire pour voir si rien n’avait changé.

Il me confirma tout ça, mais me dit à nouveau qu’il ne fallait pas trop en parler.

 

4 ans plus tard, Sacha revient à la Cité de l’espace pour le plaisir de tous, animateurs, enfants et public, mais également pour quelques privilégiés qui profitèrent de ses anecdotes et de sa charmante épouse lors d’un repas entre amis. Je pu organiser un entretient privé avec Elena comme traductrice et réussi à le convaincre de raconter son aventure aux lecteurs d’Espace Magazine, ce qu’il accepta.

 

Sacha pu enfin nous raconter comment, lors d’une sortie dans l’espace sur Mir, ses deux attaches ce détachèrent des barres de fixations de la station et qu’il devint le premier homme totalement libre, sans aucun moyen de secours. Seul son sang froid, son entrainement lui sauva la vie. Il se laissa flotter jusqu’à une poignée où il s’agrippa tellement fort qu’il fit saigner ses ongles. Ce n’était pas un scoop, mais un détail de la vie des hommes de l’espace qui marqua quelques lecteurs.

Nous évoquâmes également le fauteuil volant soviétique, qu’il fut l’un des 2 cosmonautes à essayer en 1990 depuis Mir.

Sa mort soudaine à 69 ans en novembre 2013 nous surprime tous.

Das sbidania Sacha.

  

bottom of page