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Sauvez les hommes...le siège, la tour ou le destin ?

Espace et Magazine n°21 – Mai/Juin 2006 - seconde partie

 

 

Dans notre dernier numéro, nous avons pu découvrir les moyens de sauvetage prévus sur les 4 premiers vaisseaux habités soviétiques et américains ainsi que pour les 4 projets plus « exotiques » qui n’eurent finalement pas l’occasion de transporter des passagers. (Vostok, Mercury, Voskhod, Gemini, Mol, Merkur – Almaz, Zond – L1 et LOK – L3)

Retrouvons maintenant certainement les plus connus des véhicules spatiaux et leurs systèmes de sauvetage parfois étonnants.

 

 

SOYOUZ                                          

Tout naturellement, c’est à une tour de sauvetage que fut confié la survie des occupants des Soyouz, père ou frère des ZOND et LOK.  Cette tour de sauvetage est composée d’un moteur principal à 12 tuyères en couronne en forme de champignon, de moteurs de stabilisation et d’un second bloc moteur placé au-dessus – dit moteur de séparation – destiné à retirer la tour. Tous ces moteurs sont à poudre. Pendant les 20 minutes qui précèdent au lancement jusqu’à 2 minutes ½ après le décollage, les 75 tonnes de poussé du moteur peuvent arracher la partie avant de la tour abritant le compartiment orbital et la capsule. Avertis par un voyant lumineux et une alarme sonore, l’équipage subit une accélération d’une dizaine de G pour un vol qui ne dure que quelques secondes pour culminer vers 1200 m d’altitude. Arrivé à l’apogée de sa trajectoire, trois moteurs placés asymétriquement à la base de la coiffe se mettent en marche pour incurver la trajectoire. La stabilisation est assurée (comme pour le Zond) par la traînée provoquée par 4 volets grillagés de forme carrée qui se déploient à la base. La capsule est larguée et les moteurs de division (2) arrachent la coiffe dans laquelle est resté le compartiment orbital. La capsule peut enfin entamer sa descente et libérer le parachute de secours. Le vol se termine à quelques kilomètres du pas de tir.

(2) Ce sont ces mêmes moteurs à qui sont confiés la mission d’extraire la coiffe vers 85 km d’altitude avant qu’elle ne se sépare, dans le cas d’un vol nominal.

La tour de sauvetage du Soyouz suivra les évolutions de ce dernier – Soyouz T en 1979 avec de nouveaux moteurs à poudre, Soyouz TM en 1985 où le nouveau moteur permet de supporter les 250 kg d’augmentation de la charge utile du Soyouz.

On peut signaler également que la tour se sauvetage fut conservée sur la première version cargo du Soyouz : le Progress. Mais celle-ci n’était pas fonctionnelle. L’absence des 4 panneaux stabilisateurs à la base de la coiffe était à ce titre révélatrice. Le but était de maintenir le profil aérodynamique du lanceur. Depuis, celle-ci à totalement disparue.

C’est sous la version Soyouz T que pour la première fois un système de survie pu remplir parfaitement sa fonction et sauva deux hommes. Le 27 septembre 1983 vers minuit, Soyouz T 10A avec à son bord Titov et Strekalov, est à une minutes et demi du décollage. Le feu se déclare sous le premier étage et rapidement les flammes atteignent toute la partie base du lanceur et attaque le pas de tir. Le système automatique d’éjection ne se met pas en marche car les câbles électriques qui aurait du le commander ont brûlés dès les premières secondes de l’incendie. Les flammes commencent à lécher le haut du lanceur. La seule solution, commander par radio l’éjection du Soyouz mais cet ordre doit être donné simultanément par deux responsables, ce qui fait perdre encore quelques secondes. Le signal arrive enfin du bunker de lancement et les 12 moteurs de la tour arrachent le Soyouz. Les presque 80 tonnes de poussée font subir une accélération de 15 G(3) aux deux passagers pendant 2 secondes pour atteindre la vitesse de 300m/s (1 000 km/h). A l’apogée de sa trajectoire, la capsule Soyouz est larguée avant d’ouvrir son parachute de secours plus petit que le principal (540 m2 au lieu de 1000m2) mais qui a l’avantage de s’ouvrir automatiquement en 4 secondes sans utiliser de parachute extracteur. Conséquences, une arrivée sur le sol plus rude car les rétrofusées peuvent neutraliser les 6m/s de la décente nominale sous parachute pas les 10m/s dues au parachute de secours. Soyouz T 10A termine son vol 5mn 30 s plus tard sur les steppes de Baïkonour à 4 km du pas de tir. ouf !

(3) En soit, l’accélération de 15 G est supportable pour un équipage entraîné, à condition qu’il s’y attend. L’histoire ne dit pas si l’alarme sonore s’est déclenchée préparant Titov et Strekalov à cette épreuve. Si le bras tenant le manuel de vol de l’un des cosmonautes est resté au-dessus du corps de son collègue, il a du peser 15 fois son poids, soit près de 80kg pendant quelques secondes. Largement de quoi surprendre !

Dans son livre ² Dans les coulisses de la conquête spatiale – CEPADUES ², Jacques Villain raconte qu’un photographe qui se tenait à une centaine de mètres du pas de tir fut soulevé de plusieurs mètres par le souffle de l’explosion et se brisa une cote. Quelques jours plus tard, il reçu à l’hôpital la visite de Strekalov et Titov qui le déclarèrent troisième membre de l’équipage Soyouz T 10A  puisque comme eux, il avait volé !

 

 

APOLLO                                          

Prévue pour fonctionner en cas d’avarie de l’énorme SATURN 5, le système de sauvetage d’Apollo devait être très efficace. Les sièges éjectables n’auraient pas permis d’éloigner suffisamment les trois astronautes en cas d’explosion de la Saturn 5. (Correspondant au ¼ de la puissance de la bombe d’Hiroshima !) C’est ainsi que la tour de sauvetage fit son retour, avec pour mission d’extraire le module de commande – CM – situé tout en haut du lanceur à près de 100m du sol ! Sa réalisation fut confiée à Lockeed.

Longue de 10,60 m pour un poids de 3,6 tonnes, la tour était composée d’un pylône de raccordement, sorte de structure tridimensionnelle fixé par 4 points au carénage de protection thermique qui protégeait entièrement la module de commande des effets aérodynamique du lancement et surtout en cas de mise en marches des tuyères d’éjection. Cette coiffe de 318 kg était réalisée en fibre de verre revêtu de liège et percée d’ouvertures correspondantes aux hublots et tuyères des moteurs d’orientation. Sur le pylône, après une jupe de liaison était placée une fusée de 66 cm de diamètre et 4,72 m de long d’où sortaient 4 tuyères devant assurer l’arrachement de la capsule en cas d’avarie. Pour éviter une surchauffe de la capsule, les tuyères étaient inclinées de 35° par rapport à la verticale. D’une poussée de 67 tonnes (pendant 6 secondes), le moteur à poudre de la tour éloignait la capsule à une distance « raisonnable » du lanceur, après que celle-ci se soit séparée du module de service et des liaisons qui le reliaient à ce dernier. Au-dessus du corps cylindrique de la fusée d’éjection, deux trous ovales correspondent aux deux tuyères de séparation destinées à assurer la séparation de la tour, soit après les 6 secondes de combustion en cas d’urgence, soit 3mn 47s après le décollage après que la Saturn 5 ait traversé les couches denses de l’atmosphère. Ces deux tuyères décalées de 4° de l’axe de vol délivrent une poussée de 14 tonnes pendant une seconde. Tout en haut, sous le système gyroscopique du lanceur, un capotage dissimule le moteur de tangage d’une poussée d’une tonne exercée perpendiculairement à l’axe de vol pendant une demi seconde déviant ainsi la trajectoire de celle du lanceur. Le capotage s’ouvrait en deux parties en créant deux empennages aérodynamiques destinés à incurver la trajectoire de la capsule Apollo.

Les essais confirmèrent la validité du concept, la solidité de la tour de sauvetage et son bon fonctionnement même quand la vitesse atteinte était déjà supersonique. La coiffe de protection de la capsule fut également validée.

Avant de lui confier des hommes, la tour de sauvetage d’Apollo connue bien des essais. Tout d’abord avec la moins connue des fusées du programme Apollo, la Little Joe II. Dès 1963 furent menés des « Pad abort », c’est à dire des tirs du système de  sauvetage depuis le sol. Lors d’un test avec la Little Joe le 19 mai 1965, ce fut l’échec du lanceur mais le système de sauvetage fonctionna parfaitement permettant la récupération de la maquette réelle du module de commande d’Apollo. Ensuite se furent les hommes qui lui furent confiés mais la fiabilité inégalée des différentes versions de Saturn ne lui donna pas l’occasion de faire ses preuves. Le 15 juillet 1975, presque 12 ans après son premier « Pad abort » , le dernier système de sauvetage du vol Apollo 18 – ASTP, se séparait en douceur du lanceur Saturn 1B mettant une fin brillante à sa carrière.

 

 

Space Transportion Systeme – STS                                     

Au début du programme (1972 / 73), la solution de la cabine éjectable avait été étudiée pour sauver l’équipage de la navette. Très vite, cette solution s’avéra complexe à réaliser et surtout très coûteuse.

La solution adoptée dès l’origine peut être scindée en deux phases : sur le pas de tir avant l’allumage des 2 boosters (SRB) et après le décollage.

Sur le pas de tir, lorsque l’équipage est sanglé dans l’orbiteur et la passerelle d’accès rétractée (H-30 minutes), celle-ci revient se positionner sur la porte afin de permettre aux astronautes de rejoindre les toboggans d’évacuation. Les astronautes se jettent dans 5 paniers pour un « grand tour de manège » qui va leur faire franchir en 35 secondes les 375 mètres qui les séparent du bunker souterrain salvateur.

Après l’allumage des moteurs principaux et surtout des deux boosters, plus aucune parade possible !

C’est à la fin de combustion des SRB – 127ème seconde - qu’il est envisageable de tenter un retour vers la piste de Cap Kennedy. Mais cette solution à haut risque impose tout de même de poursuivre le vol pour atteindre les fatidiques 65 km d’altitude permettant le retournement de la navette. Là, les moteurs principaux sont coupés et la navette se sépare de son réservoir ventral pour tenter de venir se poser près du pas de tir. Cette procédure est possible jusqu’à T + 4 min 20 sec. Si le problème intervient plus tard – à plus de 400 km du pas de tir, la même procédure est adoptée, mais moins précipitée car la trajectoire est déjà suborbitale. Les pistes visées sont situées soit en Espagne, Sénégal ou Maroc. Au-delà, la mise en orbite basse permet de prendre un peu de temps et de rentrer se poser après un tour de Terre à White Sand au Nouveau-Mexique.

Mais pour les 4 premiers vols, l’équipage n’étant composé que de deux astronautes, Columbia fut équipée de deux sièges et de deux trappes éjectables. La NASA choisi d’utiliser les sièges qui équipaient les SR 71 et qui offrait un bonne plage d’utilisation, légèrement supérieure à 30 km d’altitude. Il est à noter que les deux sièges occupaient une place énorme dans le poste de pilotage.

Après la catastrophe de Challenger qui détruisit son équipage, une nouvelle procédure est venue compléter les précédentes pour le cas où les conditions d’atterrissage de la navette ne soient pas réunies. Restrictive, cette procédure commence vers 12 000 mètres d’altitude par l’égalisation des pressions entre l’extérieur et l’habitacle. Lorsque celle-ci est égalisée, vers 9600 m, un système pyrotechnique éjecte la porte et l’un des astronautes tente de déployer une grande perche où tout le reste de l’équipage s’y accroche par une lanière et se jette dans le vide. Au passage au bout de la perche (qui leur évite de percuter l’aile de la navette), la sangle est coupée et le parachute est armé pour s’ouvrir vers 4 200m. Cette phase délicate doit se dérouler pendant que la navette effectue un vol plané à une vitesse inférieure à Mach 1 et à partir de 6 000 mètres d’altitude ! Les entraînement des équipages à cette procédure par avion ont démontré qu’après les 45 sec de mise en place de la perche, il faillait entre 2 et 3 minutes pour évacuer 5 à 8 astronautes. Il ne semble pas que tous les astronautes soient convaincus du système mais « ça rassure ».

Mais l’accident de Challenger reste imparable : les 127 premières secondes de vol d’une navette resteront à très haut risque. Columbia nous a également confirmé que le retour l’était également.

Lorsque le 12 avril 1981 J. Young et B. Crippen prirent place sur leurs sièges éjectables dans ce qui était à l’époque l’engin volant le plus complexe réalisé par l’homme, il faut se rappeler qu’aucun vol d’essai n’avait eu lieu et qu’ils allaient pour la première fois faire franchir la vitesse de 28 000 km/h à un engin ailé et tenter de le ramener sur Terre. La lourde écoutille fermée, ils se retrouvèrent seuls, confiants dans leur fantastique machine. Ces merveilleux fous volants dans leur drôle de machine…

 

 

BOURANE                                       

Sur la base d’un modèle de siège éjectable aéronautique, la société russe Zvezda, sous la direction de G. Severine,  fut chargée de fournir les 2 sièges de secours pour les vols de qualification de la navette Bourane : le K-36RB. Elle réalisa également la combinaison pressurisée – STRIZH - qui lui était associé. Installés également sur le modèle d’avion analogue à Bourane, les sièges étaient fixés sur le plancher de la navette ainsi que sur la partie supérieure de la structure au droit des trappes éjectables.

Des tests furent réalisés sur des maquettes partielles de cockpit montées sur chariots propulsés.

En cas d’éjection sur la pas de tir, les sièges devaient assurer une montée inclinée (300 m d’altitude et 500m d’éloignement) pour échapper à la tour de service située non loin du lanceur et permettre la stabilisation du vol avant le largage du passager et le déploiement de son parachute. En vol, l’éjection devait se faire vers le bas avant que le système de stabilisation du siège permette la suite de la procédure. Le siège était doté d’un moteur à carburant solide et d’un dispositif de changement de trajectoire.

Les sièges furent également testés en passagers clandestins sur les Progress 38 à 42 entre septembre 1988 et mai 1990. Installé au-dessus de la coiffe à la place de la tour de sauvetage du Soyouz, chaque siège fut testé en pleine accélération et parfois jusqu’à 40 km d’altitude. L’ensemble du système fut qualifié pour une éjection du pas de tir jusqu’à Mach 3,5 et à une altitude inférieure ou égale à 35 km !

Parallèlement,  un concept de sauvetage basé sur l’éjection de la partie avant de Bourane fut développé par un ingénieur israélien d’origine russe – voir encadré. 

Bourane effectua son unique vol en mode automatique et les pilotes n’eurent pas la possibilité de piloter leur navette qui succomba après son premier vol avec l’URSS qui l’avait engendré.

 

 

HERMES                                          

Imaginé sur les planches à dessins du CNES en 1977 et sacrifié par l’Europe à Grenade en 1992, le projet Hermès connu plusieurs concepts et n’échappa pas à la recherche de solution efficaces pour préserver son équipage.

Dès le début de la définition de l’avion spatial Hermès, les concepteurs français du projet se penchèrent prioritairement sur la sécurité pendant la phase délicate de la combustion des deux accélérateurs à poudre d’Ariane 5 (120 sec). Il étudièrent en 1987 la mise en place d’une cabine de pilotage éjectable.

Pendant la phase de lancement, après séparation totale du véhicule du lanceur puis de cette cabine éjectable du reste du véhicule par un dispositif pyrotechnique, des moteurs à poudre d’une poussée d’environ 25 tonnes (4 sec) l’auraient éloigné suffisamment d’Ariane 5.

Les deux principales versions de cabine éjectable (4 m3 puis 7 m3) étaient utilisables jusqu’à Mach 7 et 60 km d’altitude. Cette cabine éjectable devait assurer la récupération saine et sauve de l’équipage de 3 astronautes dans de bonnes conditions sous parachute, sur terre comme sur mer. La flottabilité de la capsule (6 à 24 heures) devait garantir une récupération sans encombre de l’équipage dans l’Atlantique.

Les astronautes européens, futurs passager d’Hermès se déclarèrent défavorables à cette option trop gourmande en poids (3 tonnes de plus pour la capsule éjectable limitant la charge utile d’Hermès à 3 tonnes) et ils émirent en outre des craintes de retard du au long développement de ce système.

En décembre 1989, le principe de la cabine éjectable fut officiellement abandonnée au profit de deux options : une version encapsulée des sièges éjectables assurant une meilleure protection pour les passagers et la version classique des sièges éjectables.

Curieusement, le concept de sièges encapsulés refit son apparition après la destruction de Columbia et celui d’Hermes fut évoqué en référence dans plusieurs rapports de contres propositions aux mesures engagées par la NASA. (Crew Escape Pods Concepts)

La version sièges éjectables prévoyait l’emploi des sièges Martin-Baker anglais ou des sièges mis au points par Zvezda (K36-RB) pour la navette Bourane.

Suivant le modèle et à quelques variantes près, l’éjection pouvait se faire depuis le pas de tir en éloignant les 3 hommes de 500 mètres du danger. Pendant la phase de montée, les sièges restaient actifs jusqu’à l’altitude de 22 km et 29 km lors d’une éjection pendant la décente. L’éjection était également envisageable jusque sur la piste d’atterrissage en cas par exemple de non déploiement du train.

 

Le propos n’est pas ici de commenter les raisons de l’abandon d’Hermès, mais comme on l’a vu, ce projet bénéficia, en matière de sécurité de toute l’attention des concepteurs. D’autant plus qu’en janvier 1986, l’explosion de Challenger relança l’éternelle polémique entre scientifiques partisans et adversaires des vols habités, fit passer de sombres nuages au dessus d’Hermès. Au salon du Bourget de 1993, Hermès avait totalement disparue des stands, le nom même de ce projet était devenu tabou. Pendant ce même salon, la dernière assemblée générale de la société Euro-Hermes Space entérinait sa fermeture et la clôture des comptes. Les sièges de Bourane ne connurent pas l’espace.

 

 

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