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Des Articles

 

Lors de ma seconde balade en Russie avec le groupe de passionnés de Cap Espace, nous avions du remplacer une visite d’un Musée par la visite du Musée Lavotchkine. Nous fumes accueillis comme des vip et la visite fut assuré par Oleg Ivanovski en personne qui avait travaillé notamment sur les projets de sondes lunaires et martiennes. Jean-Pierre, un ami que m’accompagnait me précisa qu'Oleg était le technicien qui avait accompagné Gagarine pour s’installer dans le Vostok. En effet dans son bureau, trônait une photo le montrant avec Gagarine sur le pas de tir. Grace à notre traducteur Nikolai Chtcherbakov, je lui demandais confirmation de ce que j’avais lu et appris par accident, sur le fait que si Luna 15 ne s’était pas crashée sur la Lune pendant le vol Apollo 11, le retour des échantillons étaient bien programmés pour arriver avant les 3 hommes d’Apollo 11. Il confirma tout ça en apportant pas mal de précisions.

De retour en France, je demandais à Nikolas de lui demander une trace écrite de ses mains sur ces faits. C’est fort de ce courrier que je pus rédiger cet article qui était ponctué des souvenirs d'Oleg. Avec le recul, on peut dire que si les soviétiques avaient réussis leur coup, les suites du programme Apollo auraient été bouleversées.

Afin d’être à la hauteur des informations révélées, je me lançais dans une série de dessins pour présenter Luna 15 dans les étapes clé de sa mission. La sonde étant volontairement présentée sans sa protection thermique pour être plus pédagogique. 

 

 

 

Luna 15, le JOKER soviétique

Espace et Magazine n°13 – Mai/Juin 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce 23 juillet 1969, le monde entier attend le retour de l’équipage d’Apollo 11, qui doit retrouver avec sa précieuse cargaison, les eaux chaudes du Pacifique dans moins d’une vingtaine d’heures.

A Moscou, la rumeur enfle depuis le départ du sol lunaire de la fusée cosmique de Luna 15. Les préparatifs battent leurs pleins depuis le dernier communiqué de l’agence Tass annonçant le retour . Avec fébrilité et « spontanément », la foule se regroupe sur la Kiev Prospekt en agitant des drapeaux et jette des fleurs au passage du véhicule blindé transportant la capsule.

Arrivé devant l’institut de géochimie Vernadski, la précieuse capsule noircie est exhibée devant un parterre de journalistes sous les discours des responsables politiques. Les Soviétiques ont réussi in extremis à coiffer au poteau les Américains en ramenant les premières roches lunaires.

 

Cet épisode de "politico-science fiction" à bien failli se produire pendant l’été 1969. Revenons sur cet épisode historique où les Soviétiques vont sortir leur dernier joker et tenter de retourner le cours de l’histoire.

 

 

Juillet 1969, les Américains sont en passe de remporter le pari de Kennedy. Apollo 11 est sur son pas de tir, Armstrong et Aldrin se préparent à devenir les premiers hommes à marcher sur la Lune, huit ans à peine après la décision présidentielle.

Côté soviétique, les choses semblent entendues. Le survol lunaire à l’aide d’un Soyouz amélioré (programme L1) a été abandonné et les retards sur le lanceur géant N1 du programme de débarquement humain, ne leur permettront pas d’arriver sur la Lune avant les Américains.

Mais les Soviétiques vont sortir leur dernier joker et tenter de retourner le cours de l’histoire.

 

Dans un récent échange de courrier avec Oleg Ivanovski - actuel Directeur du Musée Lavotchkine et ancien Constructeur Principal Adjoint des sondes lunaires – ce dernier nous livre quelques précisions qui permettent de jeter un coup de projecteur sur cet épisode encore méconnu du grand public.

Nous publions dans l’article (en italique) des extraits de ses commentaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En mars 1965, le programme lunaire fixé par Korolev comprend l’alunissage, la mise en orbite et déjà le véhicule automatique Lunakhod.

Constatant dès 1968 que le programme de débarquement lunaire (N1-L3) ne pourra atteindre ses objectifs, l’académicien Guéorgui Nikolayevitch Babakine de l’OKB de Lavotchkine se voit confier la tache de concevoir un programme automatique de récolte de roches lunaire avec retour sur Terre.

La station automatique qu’il conçoit comporte un module de descente dont la structure en forme de tore pressurisé supporte les réservoirs à combustibles (dont 4 largables) entourant un moteur de propulsion à poussée variable (750 à 1920 kg) destiné aux corrections de la trajectoire trans-lunaire, à la mise en orbite et aux manœuvres orbitales jusqu’à la descente. Deux autres propulseurs à plus faible poussée (210 à 350 kg), des micros propulseurs pour le contrôle d’attitude, le compartiment des instruments et les 4 pieds amortisseurs complètent ce module. Enfin, deux téléphotomètres ainsi que le dispositif de récolte de roches – bras équipé d’une foreuse - ont également pris place sur le module de descente, qui affiche une masse de 5200 kg au départ de la Terre (1300 kg sur le sol de la Lune).

 

La charge utile de ce module de descente est légèrement supérieure à 800 kg. Il va se voir confier alternativement, le véhicule Lunakhod (756 kg - n°1 et 840 kg - n° 2) ou la fusée cosmique de retour d’échantillon. Une version orbitale (Luna 19 & 22) sera réalisée en combinant la plate forme et le compartiment hermétique du Lunakhod.

 

« Le module de descente devait servir sur la Lune de dispositif de lancement à la fusée Lune-Terre, sorte  de "mini Baikonour". »

« La fusée Lune-Terre avait une masse de 500 kilogrammes environ, un propulseur à carburant liquide, trois réservoirs sphériques du carburant. Sur un réservoir à combustible, a été fixé un compartiment cylindrique aux appareillages où se trouvaient les appareils gyroscopiques et calculateurs, les systèmes de commande, ainsi que les émetteurs,  récepteurs, décodeurs, programmateurs horaires du tableau radioélectrique de bord, les batteries d’accumulateurs chimiques et transformateurs du courant et les appareilles électriques des automatismes de bord.

Dans la partie supérieure du compartiment aux appareillages, la capsule de retour d’un demi-mètre de diamètre (35 kg environ) a été fixée avec une bande métallique à la fermeture spéciale.  Son corps intérieur métallique a été divisé en trois parties isolées.

Dans la première partie il y avait les émetteurs radiogoniomètriques assurant la détection de la descente de l’engin sous parachute et après son atterrissage. Il y  avait également les batteries d’accumulateurs chimiques, des automatismes et un programmateur commandant la mise en service du parachute.

Dans la seconde partie un parachute, quatre antennes des émetteurs radiogoniomètriques, deux ballons gonflables remplis de gaz pour assurer une bonne position de l’engin sur la surface du sol après l’atterrissage ont été disposés.

La troisième partie est un container cylindrique destiné à recevoir les échantillons de  la roche prélevée, avec un orifice à fermeture spéciale à vide radiocommandée depuis la Terre. »

De toutes les caractéristiques générales il convient de se souvenir que c’était une fusée-porteuse « Proton » à quatre étages pour transporter vers la Lune toute la station d’une masse de 5700 kilogrammes qui  a été utilisée. »

 

La première des sondes lunaires de troisième génération - Ye–8 - quitte le sol de Baïkonour le 19 février 1969, deux semaines avant Apollo 9. Les moteurs du 1er étage de la Proton qui emporte le premier exemplaire du véhicule Lunakhod, cessent de fonctionner provoquant la destruction du lanceur à 15 km du pas de tir.  Il est à noter que deux jours plus tard, le premier tir de l’énorme fusée N1 du programme de débarquement lunaire explosait 68,7 secondes après son décollage.

Le 10 juin, la commission Militaro – industrielle décrète pour l’année 1969,

  • cinq lancements de sondes à retour d’échantillons – les 14 juin, 15 et 28 juillet, 25 août et 25 septembre,

  • deux lancements de sondes porteuses de véhicule Lunakhod – les 22 octobre et 21 novembre.

 

    « La première station de ce prototype (retour d’échantillons) a été préparée au vol vers la Lune en juin 1969, mais malheureusement le 14 juin, son vol  vers la Lune s’est terminé par un échec à cause d’un refus du système de commande du quatrième étage de la fusée-porteuse. »

 

La mise en orbite terrestre réussie, mais le Block D – chargé de l’insertion vers la Lune – refuse de s’allumer.

Le 3 juillet, nouvelle tentative infructueuse de lancement de la N1.

 

    « Il a fallu de la façon urgente préparer  une nouvelle station. Son lancement a eu lieu le 13 juillet 1969 à 5 h 55, heure de Moscou »

 

Chris Craft, le patron de la NASA de l’époque contacta Franck Borman (Cdt d’Apollo 8), qui rentrait d’un voyage d’une semaine en Russie, pour tenter d’en savoir plus auprès des contacts qu’il avait pu tisser sur place. Après de rocambolesques démarches semées d’embûches notamment dues au décalage horaire, Borman reçu finalement deux télégrammes signés de la main de Keldych – Président de l’académie des sciences soviètique – où les paramètres orbitaux de la sonde lui furent précisés confirmant que les Soviétiques avaient tenu compte de celles d’Apollo 11 diffusées par la NASA. 

     «Luna-15 volait favorablement vers la Lune. Le 17 juillet elle était mise en orbite lunaire, des corrections nécessaires de l’orbite ont été apportées et après 52 tours la station a été préparée vers l’alunissage dans la mer lunaire des Crises. Le jour même  un prélèvement de roche devait avoir lieu, par la suite le tir de la fusée « Lune –Terre » devait ramener ces prélèvements sur Terre au bout de trois jours. »

 

La sonde se place sur une orbite lunaire initiale de 240 x 870 km qui est modifiée le 19 juillet en 95 x 222 km, toujours inclinée à 126°. Le 20 juillet, Luna 15 met en marche ses moteurs pour se placer en orbite d’approche (16 x 110 km). Ensuite, la procédure nominale est la suivante : une dernière correction abaisse l’orbite à 600 m de périsélène et le freinage brutal intervient en moins de 6 minutes, entre 600 et 20 m du sol. A l’altitude de 20 m, la vitesse est proche de 2,5m/s – soit 9 km/h, l’altimètre à rayon gamma et le système Doppler de la sonde « pilotent » celle-ci pour les derniers mètres.

Seulement à l’époque, les Soviétiques ne possèdent que l’expérience unique de Luna 14 (orbiteur) concernant les « mascons ». Sous ce nom barbare, se cache un phénomène découvert un an plus tôt par Muller et Sjogren (USA) qui en analysant les données des sondes Lunar Orbiter ont découvert dans la Mer des Pluies des anomalies de gravité traduisant la présence de concentration de masse, perturbant les orbites des satellites artificiels de la Lune.

 

Le 20 juillet 1969, au moment même où après une courte nuit lunaire, Armstrong et Aldrin préparent leur décollage de la Lune qui aura lieu une heure plus tard, Luna 15 met en marche une dernière fois ses rétrofusées. 4 minutes plus tard, à 15 h 47 et les émissions radio cessent brutalement. La sonde a percuté à la vitesse de 480 km/h une petite colline de la Mer des Crises, à 800 km du Module lunaire d’Apollo 11.

 

« Oui, Apollo 11 a été lancé le 16 et s’est posé dans la mer de la Tranquillité, et notre Luna 15 a été lancée le 13 !!! Et elle devra alunir dans la mer des Crises !!!  Mais la station lors de la descente avait malheureusement accroché de façon inattendue un promontoire au bord de la même mer des Crises. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’échec semble être imputable à un mauvais fonctionnement du radioaltimètre qui entraîna un écart de 16km +/- 4 km en altitude par rapport aux prévisions balistiques.

L’échec est dur à vivre pour les Soviétiques. Mais malgré le retour triomphal d’Apollo 11, ils ne renoncent pas.

 

«Un lancement suivant est fixé au 23 septembre 1969. Mais sur l’orbite terrestre un refus de l’unité des propulseurs toujours du quatrième étage de la fusée-porteuse (Block D) a mis à l’échec ce vol vers la Lune. La station a été nommée "Cosmos-300". A vrai dire, il a permis de vérifier quelque chose relevant «de notre domaine» : la séparation et la descente non prévue de l’engin retournable dans un plan délimité de l’océan Pacifique ont été effectuées. »

« Des lancements consécutifs effectués le 22 octobre  1969  et  le 6 février 1970 ont été aussi accidentés vu la perte de la stabilité toujours du même quatrième étage et un refus du deuxième étage du lanceur Proton. Un nouveau Cosmos est apparu ! » (Cosmos-305)

« Enfin, après une pause de 6 mois, le 12 septembre 1970 le lancement  de la station Luna-16 a eu lieu ! Le vol se déroula parfaitement. A l’approche de la Lune le 17 septembre  la station a été mise en orbite lunaire.

Le 20 septembre 1970 la station Luna-16 a quitté l’orbite lunaire et est descendue dans la mer de la Fécondité. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La sixième tentative sera donc la bonne avec 105 g de prélèvement. Outre Luna 17 et 21 qui déposeront chacune le Lunakhod 1 et 2, d’autres missions de collecte d’échantillons vont se succéder avec plus ou moins le même taux de réussite.

 

2 septembre 1971 - Luna 18 - Echec à l’alunissage

14 février 1972 - Luna 20 - Retour de 30 g de roches

28 octobre 1974 - Luna 23 - Alunissage mais échec de la collecte

16 octobre 1975 - Echec au lancement

9 août 1976 - Luna 24 - Retour de 170 g de roches

 

Luna 19 (1971) et Luna 22 (1974), utilisant la même plate forme, seront placés en orbite lunaire pour approfondir l’étude des mascons et plus généralement l’environnement lunaire.

Le bilan du programme est plutôt mitigé. Avec un total de 11 missions dont 8 échecs, les Soviétiques rapporteront sur Terre 305 g de sol lunaire.

 

Pendant plus de 20 années, les Soviétiques garderont secret le but de la mission LUNA 15, mais ce que l’on sait moins c’est que dés juin 1969, la propagande s’empara de l’affaire pour relativiser le triomphe qui se profilait à l’Ouest. L’agence Tass proclama que l’URSS ne souhaitait pas mettre la vie de cosmonautes en danger dés lors que des sondes automatiques pouvaient en toute sécurité effectuer des prélèvements de roches lunaires et les ramener sur Terre. Pour la petite histoire, Oleg Ivanovski nous révèle dans son courrier le programme spécial qu’avaient concoctés les responsables politiques pour le retour des roches lunaires de Luna 15.

    

      «Le jour même (13 juillet 1969) des propositions quant au programme spécial ont été préparées par le bureau d’études suivant les consignes des responsables supérieurs. Le programme visait à préparer des manifestations solennelles pour le moment du retour de l’engin avec la roche lunaire sur Terre. Le plan principal était le suivant : A l’arrivée de la capsule lunaire à l’aéroport Vnoukovo, l’engin placé sur le véhicule blindé orné des fleurs et des drapeaux sera transporté dans les rues de Moscou. Les gens tout le long de la chaussée de Kiev et des rues irons saluer ce cortège. L’engin sera amené à l’Institut de géochimie Vernadski au sein de l’Académie des Sciences de l’URSS près de l’entrée duquel un meeting aura lieu lorsque les prélèvements de la roche lunaire livrés pour la première fois sur la Terre seront rendus à l’Académie des Sciences !!! »

 

Et en bon perdant, Oleg Ivanovski de conclure :

 

«Mais le 16 juillet, Apollo11 avec les astronautes Armstrong, Aldrin et Collins a été lancé aux Etats-Unis. Le 20 juillet il est descendu avec succès dans la mer de la tranquillité. Armstrong et Aldrin sont sortis sur la surface de la Lune, ils ont ramassé 25 kilogrammes de prélèvements de roches. Le 21 juillet Apollo11 a repris la route vers la Terre et trois jours plus tard,  l’Amérique saluait solennellement ses astronautes héroïques.»

 

Serge Gracieux  - Mai 2005

 

Mes remerciements à Oleg Ivanovski et Nikolai Chtcherbakov pour les contacts et la traduction.

Sources :

C. Lardier – L’astronautique soviétique – Armand Colin 1992

G. Farmer & D.J. Hamblin - Premiers sur la Lune – Robert Laffont 1970

A. Wilson – Solar Systel Log – JANE’S 1987

A Ducrocq – Air & Cosmos 1969 – 1976

Soviet Space Programs – US Congress - 1985

 

Sites web :

russianspaceweb.com,

Apollo Lunar Surface Journal (hq.nasa.gov/office/pao/History/alsj/main.html)

Mark Wade - astronautix.com/

 

 

 

 

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