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Des Articles

 

C'est l'une des choses qui m'avait épaté le plus (en dehors du spatial) pendant ma visite de Baïkonour. Un principe d'éducation des futurs ingénieurs du spatial qui faisait la part belle à la maquette en terme pédagogique. La phrase qui m'a le plus étonné : ''Vous ne faites pas comme ça chez vous ?''. Comment dire.....

 

 

L'Ecole spatiale de Tchelomei 

Espace et Exploration n°14 – Mars/Avril 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non loin de là où le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine, s’envola pour son tour de Terre, une école forme les techniciens et ingénieurs de demain avec des maquettes et à proximité de pièces historiques dignes des musées les plus prestigieux. Découverte.

 

Mercredi 18 septembre 2012, au Kazakhstan, Baïkonour-ville. 14h30. Dans une voiture avec chauffeur, nous sommes quatre personnes. Vincent Meens et moi-même, invités pour quelques jours par TsENKI, organisme qui gère les infrastructures spatiales russes, et Starsem, société russo-européenne chargée de commercialiser les lancements de satellites sur le mythique lanceur Soyouz. Avec nous, Victor Nikolaiev directeur général délégué de Starsem, et notre accompagnatrice de TsENKI, notamment en charge des autorisations adéquates. Notre séjour dans l’un des lieux les plus emblématiques de la conquête spatiale (c’est du pas de tir n°1 du cosmodrome de Baïkonour que s’envola Youri Gagarine) tient au fait que Vincent et moi faisons don de nos maquettes des modules lunaires soviétique et américain* au Musée Gagarine de ce port spatial historique et toujours actif.

 

Une classe de maquettes spatiales

La nuit précédente, nous avons assisté au magnifique lancement de nuit de la 1.792ème fusée Soyouz (nom original : Sémiorka) qui a mis sur orbite le satellite météo européen MetOp-B. Toutefois, aujourd’hui, nous ne nous dirigeons pas vers les pas de tir mais vers l’école spatiale internationale de Tchelomeï située au sud-ouest de la ville.

Parvenus à destination, nous pénétrons dans l’allée qui mène à l’école où trône dans l’axe un monument surmonté d’une tour d’éjection de Soyouz de première génération.

Le ton est donné. Un peu comme partout dans Baïkonour-ville, les monuments liés au spatial sont innombrables, et parfois à base de véritables pièces ! Au centre de la cour de l’école, un buste de l’ingénieur Vladimir Tchelomeï (1914-1984), le concepteur du lanceur Proton, nous accueille. Sur un chariot garé à côté d’une voiture de service, nous notons la présence d’un missile, certainement un objet de travaux pratiques. Le directeur de l’école, M. Chatalov, tient à nous faire visiter en personne son établissement (ses passionnants propos seront traduits par Victor).

Nous commençons par quelque chose de surréaliste : une salle de classe de maquettes spatiales ! Chaque table d’élève est un petit établi de parfait maquettiste. Tout autour, des machines comme des tours, des outils de ponçage et autres équipements semi-pros. Et partout, un nombre impressionnant de maquettes de lanceurs et d’avions, en papier, bois et plastique. Nous apprenons que cette activité s’inscrit au cœur du cursus pédagogique. Le directeur nous explique que, depuis longtemps, les chercheurs russes ont découvert que réaliser des maquettes «connecte les bons fils dans le cerveau des élèves», ce qui leur permet d’avoir une vision globale de la problématique de conception des engins réels. En construisant ces modèles, les apprentis arrivent en effet à se poser les mêmes questions que les véritables ingénieurs : confrontés à un problème de résistance des matériaux par exemple, ils sont plus enclins à interroger leur professeur et ainsi le cours est souhaité par l’élève plutôt que subi. Cette activité n’est donc pas ici un loisir, mais une véritable matière faisant partie du programme, au même niveau que les mathématiques, la physique ou la chimie ! Notre interlocuteur s’étonne même qu’il n’en soit pas de même en France... La qualité et le souci du détail des maquettes, même en papier, sont impressionnants.

 

Une école qui est aussi un musée

Nous découvrons ensuite les classes suivantes, comme celles dédiées à la Chimie.

Le principe général est le même, à savoir d’abord pratiquer pour ensuite passer à la partie théorique. Les classes sont réparties le long de couloirs et, à chaque étage, une sorte de crypte fermée par des barrières en fer forgé abrite de nombreux objets spatiaux authentiques, véritables reliques que les élèves découvrent avec les professeurs telles des applications des cours qu’ils viennent de suivre. Toutes les pièces sont étonnantes.

Difficile de les citer toutes, mais pour donner le ton, je soulignerai la présence d’un moteur flambant neuf du sinistre V2 ramené tout droit d’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Une des salles de classe est occupée par des jeunes filles en pleine activité artistique. Sculpture et peinture côtoient des pièces mécaniques réalisées en volume 3D.

La petite note spatiale qui nous rappelle que nous sommes bien à Baïkonour est toujours présente, avec parfois des tableaux allégoriques sur le cosmos dignes de l’ex-URSS. Nouvelle crypte à l’étage avec cette fois un scaphandre Orlan de première génération, des pièces du lanceur Energia, des moteurs des premiers lanceurs soviétiques, etc.

Mais c’est au troisième niveau, derrière les grilles de la dernière crypte, que nous apercevons une rareté : une capsule VA (pour Vozvraschaemyi Apparat, en russe, véhicule de retour). Avant de l’examiner, nous sommes invités à assister à une présentation sur l’ensemble des complexes de tirs de Baïkonour. Sur la base d’images satellites, l’exposé complet s’avère assez original par son approche intéressante qui associe chaque zone à chaque constructeur. Le tout est suivi de séquences de films des lancements de tous les types de fusées utilisées. Le commentaire insiste sur la puissance des armes nucléaires transportées précédemment par ces engins devenus maintenant lanceurs de satellites. Il faut dire que le directeur Chatalov est un ancien militaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le vaisseau habité de Tchelomeï

Souvent appelée Merkur par erreur de traduction, la capsule VA conçue par Vladimir Tchelomeï n’a pas eu la chance d’aller dans l’espace munie de tout ce qui allait avec, à savoir des passagers et le programme de station militaire Almaz qui lui était associée. Ce projet était la réponse soviétique à l’initiative MOL (Manned Orbiting Laboratory) de l’armée de l’air américaine qui envisageait un laboratoire orbital habité pour l’observation de notre planète (comprenez de l’espionnage). Almaz sera contré par la rivalité du bouillant et génial Sergueï Korolev, l’inventeur de la fusée Sémiorka

devenue aujourd’hui Soyouz (du même nom que le vaisseau placé à son sommet pour les missions habitées). En bloquant Almaz, Korolev mettait aussi fin aux ambitions de Tchelomeï en matière de vols habités. Pire, après le décès de Sergueï Korolev et l’échec soviétique de la course à la Lune remportée par les Américains, le bureau d’études de

Korolev emprunta (pilla, disent certains) le travail de Tchelomeï pour créer les stations Saliout et Mir. Nous avons donc devant nos yeux cette fameuse capsule VA qui aurait pu prendre la place du vénérable Soyouz triplace. Les vaisseaux

de Tchelomeï ont cependant connu l’espace sans emporter de cosmonautes, lors de vols courts ou avec les modules autonomes, les TKS, véritables précurseurs des modules complémentaires de Mir. Ce que l’on sait moins, c’est que des hommes sont toutefois montés brièvement à bord, sur orbite !

Le 10 mars 1983, un module autonome TKS ou Modulny emportant 3 tonnes de fret se connectait à l’avant de la station

Saliout 7. Immatriculé Cosmos 1443, ce Modulny était doté à l’avant d’une capsule VA.

Le 22 avril, le duo du Soyouz T9, Vladimir Liakhov et Alexandre Alexandrov, entama son occupation de Saliout 7. Début août, l’agence d’information soviétique Tass annonça que le Modulny se séparerait bientôt de la station et que l’équipage avait commencé à charger dans la capsule VA divers éléments à récupérer (films photo, échantillons métallurgiques, équipements défaillants, etc.). Le 14 août, l’engin se détacha en effet de Saliout 7 et poursuivit son vol autonome après avoir largué la capsule qui revint sur Terre le 23 août. Les cosmonautes Liakhov et Alexandrov ont

donc forcément accédé à la capsule VA pour y transférer la cargaison prévue et ont ainsi donné un coup de canif au domaine réservé du bureau d’études de Korolev. Une maigre satisfaction pour Vladimir Tchelomeï qui disparut au mois de décembre de l’année suivante.

 

Tradition et lancements

Après avoir contemplé ce témoin d’une page peu connue de la conquête spatiale, on nous informe qu’il est de tradition que les personnes qui visitent l’école amènent des fleurs devant la statue de Tchelomeï et, qu’en notre honneur, trois fusées seront mises à feu. Pendant la dépose solennelle de gerbe, nous apercevons dans la cour les 3 lanceurs modèles réduits qui ont été installés sur leur trépied. Mais au lieu d’assister au décollage, c’est nous qui allons effectuer les lancements. À tour de rôle, le directeur nous présente le matériel et nous expose la procédure : tester la présence de l’alimentation électrique, mettre la clef, la tourner et... nos fusées partent à plus de 150 m, voir 200 m de haut, avec soit le largage d’un ruban de couleur, soit celui d’un parachute.

La cour a beau être grande, les fusées retombent au-delà de l’école. Rien de bien grave, car les enfants ont l’habitude et ils les ramèneront le lendemain avant de poursuivre leurs études selon un cursus décidément unique et au sein d’un établissement qui héberge de véritables trésors de l’histoire spatiale.

 

Remerciements à TsENKI, Victor Nikolaiev de Starsem et au personnel de l’école spatiale internationale de Tchelomeï.

 

 

 

 

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